La question de l’indemnité d’éviction est source de demandes très fréquentes de la part de nos clients. Les interrogations qu’elle soulève couvrent différents aspects, il convient de s’intéresser à son évaluation et son traitement fiscal dans cet article.
I. L’évaluation de l’indemnité d’éviction
La principale caractéristique du statut des baux commerciaux tient au droit au renouvellement du preneur. L’indemnité d’éviction est sa pierre angulaire. En conséquence, lorsque le bailleur souhaite refuser le renouvellement du bail commercial au preneur et recouvrer la libre jouissance du bail, sans pouvoir arguer d’un motif l’exonérant, il doit payer au preneur une indemnité d’éviction.
La première question à laquelle sont confrontés les bailleurs redevables de l’indemnité d’éviction est celle de son montant.
La question de son montant impose de s’intéresser à l’objet de l’indemnité et à ses composantes. Conformément à l’article L.145-14, al 1 du Code de commerce, l’indemnité d’éviction doit réparer le préjudice causé au locataire par le défaut de renouvellement.
Elle est constituée d’une indemnité principale, qui sera selon le cas une indemnité de remplacement ou une indemnité de transfert, et d’indemnités accessoires. A défaut d’accord des parties sur le montant de cette indemnité, il incombera au juge, qui se fait systématiquement assister par un expert en pratique, de déterminer la nature et l’importance de préjudice.
L’indemnité principale est :
- une indemnité de remplacement (ou de perte de fonds) si le locataire évincé perd sa clientèle du fait du refus renouvellement. Dans ce cas, le locataire est indemnisé sur la base de la valeur du fonds de commerce qu’il perd.
- une indemnité de transfert dans les autres cas. Ainsi, s’il est démontré que le lieu d’exploitation du fonds importe peu et que le locataire conserve sa clientèle nonobstant un déménagement. Tel est le cas lorsque le maintien de la clientèle tient à la renommée du locataire ou au caractère très spécifique de l’activité ou lorsque l’emplacement n’a pas d’incidences sur son activité. Dans ce cas le locataire est indemnisé sur la base de la valeur du droit au bail.
La loi ne définit pas les méthodes d’évaluation de l’indemnité d’éviction qu’il s’agisse d’apprécier le fonds de commerce (l’article L.145-14 du Code de commerce mentionne seulement « la valeur marchande du fonds de commerce déterminée selon les usages de la profession ») ou le droit au bail.
Il est usuel de fonder l’estimation de la valeur du fonds sur les trois derniers exercices connus. Il en est déduit des moyennes arithmétiques. La pratique de la pondération des données chiffrées (3 pour l’année N, 2 pour l’année N-1 et pour l’année N-2) peut être utilisée pour souligner une tendance de l’activité.
Dans tous les cas, qu’il s’agisse de fixer une indemnité de perte de fond ou de déplacement, il y a lieu de rechercher la valeur du droit au bail. Le droit au bail est le capital correspondant à l’intérêt d’être situé à un emplacement donné pour exercer une activité donnée moyennant un loyer donné ; plus l’emplacement est bon, la destination contractuelle large et le loyer modéré, plus la valeur du droit au bail est élevée.
Cette valeur, élément incorporel majeur du fonds de commerce, constitue, sauf exception, l’indemnisation minimale à laquelle peut prétendre le locataire évincé. La méthode d’évaluation du droit au bail la plus fréquente est celle de « l’économie de loyer » c’est-à-dire l’écart mesuré entre la valeur locative de marché des locaux objet de l’éviction et le loyer contractuel des mêmes locaux dans l’hypothèse d’un renouvellement du bail. Ce différentiel est fondé sur la différence entre le loyer qui aurait été effectivement payé si le bail avait été renouvelé et le loyer qu’il faudrait débourser au prix du marché pour un local équivalent. Un coefficient de situation dépendant de l’emplacement des lieux loués est ensuite appliqué au différentiel.
A cette indemnité principale de remplacement ou de transfert, s’ajoutent les indemnités accessoires non listées puisque l’article L.145-14 du Code de commerce ne vise que le remboursement éventuel des frais normaux de déménagement et de réinstallation, ainsi que les frais et droits de mutation à payer pour un fonds de même valeur. Les décisions judiciaires font le plus souvent ressortir les frais accessoires suivants : les frais de remploi, les frais de déménagement, le trouble commercial, les frais administratifs, l’indemnité de double loyer, la perte de travaux et d’agencements spécifiques et irrécupérables, les indemnités de licenciement et les frais de réinstallation.
II. Traitement fiscal de l’indemnité d’éviction
L’indemnité d’éviction est soumise à un régime fiscal particulier du point de vue du locataire comme du point de vue du bailleur. Elle n’est en principe pas assujettie à la TVA et entraîne uniquement la perception d’un droit fixe d’enregistrement.
- L’indemnité d’éviction du point de vue du locataire
Ici, l’indemnité d’éviction a une double fonction qui détermine le régime fiscal applicable.
Tout d’abord, une fonction permettant d’indemniser le locataire pour les dépenses liées à la résiliation du bail commercial (déménagement, réinstallation…). Mais elle permet aussi de compenser le préjudice causépar la perte du fonds de commerce du preneur (perte de clientèle, perte du local…).
- Lorsque le locataire est assujetti à l’impôt sur le revenu
Si l’indemnité d’éviction vient compenser la perte d’actifs (droit au bail, clientèle…), elle est assimilée fiscalement à un prix de cession et est ainsi soumise au régime des plus-values professionnelles.
L’indemnité d’éviction venant compenser une charge (déménagement, réinstallation) ou un manque à gagnersera comprise dans le résultat imposable au taux normal.
- Lorsque le locataire est assujetti à l’impôt sur les sociétés
Pour les locataires soumis à l’impôt sur les sociétés, l’indemnité d’éviction est incluse dans les résultatssoumis au taux normal et ce, quel que soit l’objet de l’indemnité d’éviction (compenser un déménagement / réinstallation, perte pure et simple du fonds de commerce). Elle sera rattachée au résultat de l’exercice à l’occasion duquel la société l’a perçue.
- L’indemnité d’éviction du point de vue du bailleur
- Bailleur assujetti à l’impôt sur les sociétés
L’indemnité d’éviction sera regardée comme une charge déductible pour le bailleur s’il met fin au bail commercial dans le but de louer son immeuble à des conditions plus avantageuses (optimisation patrimoniale de ses actifs immobiliers).
Elle sera regardée comme constituant un élément de prix d’un actif si le bailleur, en évinçant son locataire, a l’intention de vendre son local commercial, de le démolir ou de le transformer afin de relouer à un locataire qui y exercera la même activité.
- Bailleur assujetti à l’imposition des revenus fonciers
L’indemnité d’éviction peut être déduite des recettes brutes foncières du bailleur lorsqu’elle constitue une dépense faite dans le but d’acquérir ou de conserver un revenu (par exemple en proposant au locataire de lui relouer le bien une fois amélioré, en opérant certains travaux…).
En revanche, elle n’est pas admise en déduction lorsqu’elle présente le caractère d’une dépense personnelle ou d’une dépense engagée en vue de la réalisation d’un gain en capital.
Tel est le cas de l’indemnité versée par le propriétaire en vue de reprendre les locaux donnés en location pour son usage personnel ou encore pour les vendre libres de toute location.
L’indemnité versée pour permettre au bailleur de revendre des locaux libres augmente mécaniquement le prix de cession des murs et peut ainsi être prise en compte pour déterminer le montant de la plus-value immobilière réalisée par le bailleur.
- Indemnité d’éviction et taxe sur la valeur ajoutée (TVA)
Le régime fiscal de l’indemnité d’éviction au regard de la TVA dépend de la fonction et du moment où elle est réglée.
Si le bailleur souhaite mettre fin au bail de manière anticipée et verse une indemnité d’éviction au locataire pour assurer son départ, l’indemnité d’éviction sera regardée comme une prestation de services rendue par le locataire au bénéfice du bailleur. Elle devrait alors être assujettie à la TVA (article 256 du Code général des impôts).
Inversement, si l’indemnité d’éviction est réglée par le bailleur ayant refusé de renouveler le bail du locataire venu à expiration, elle sera regardée comme un dédommagement payé par le bailleur à son preneur, venant compenser la perte de son fonds de commerce et ne sera donc pas soumise à la TVA.
- Indemnité d’éviction et droits d’enregistrement
Le non-renouvellement du bail, qu’il donne lieu ou non au versement d’une indemnité, entraîne uniquement, en principe, la perception d’un droit fixe de 125 € (article 738, 1°, du Code général des impôts).
Les dispositions de l’article 725 du même code qui soumettent aux droits proportionnels les cessions de fonds de commerce, ou de droit au bail, et les actes et conventions ayant pour effet de transférer le droit à la jouissance d’immeubles ou de locaux industriels ou commerciaux ne sont pas applicables.
En revanche, les droits proportionnels deviennent exigibles lorsque le non-renouvellement est suivi d’un nouveau bail et que l’opération dissimule une cession de droit au bail ou entraîne une cession de fonds de commerce ou d’activité, le propriétaire reprenant le commerce du locataire avec transfert de clientèle.
Par Me Marianne CARBONNEL et Me Hinda BARBOUCHE